Mon meilleur repas de l’année 2018 à Nineteen18 – Vilnius (Lituanie)
02.01.19 - Guillaume - 716lavie
01128 Vilnius
Ouvert du mercredi au samedi de 18h à 23h
http://www.nineteen18.lt/
Note d’avril 2019 : Attention le menu dégustation n’est plus à 70 mais à 90 et il passe à 115 euros à partir du 1er mai 2019, ça fait mal.
Résumé initial : Fantastique dîner au restaurant gastronomique Nineteen18 : le nom fait référence à l’indépendance de la Lituanie dont c’est le centenaire cette année. Le menu dégustation est à 90 euros, le drink pairing à 70 ou 130. Nous avons pris un drink pairing à 70 et ils ont accepté de nous le partager vu que ma copine ne boit pas beaucoup.
J’ai adoré ce dîner dont j’attendais beaucoup. Déjà parce que tout de suite nous avons été mis à l’aise par l’équipe de 30 ans de moyenne d’âge conduite par le chef Matas Paulinas. Pourtant je m’étais gourré sur la résa, j’avais cliqué sur la semaine suivante, le 28. Pas de soucis, on nous trouve une table. Ils voyaient très bien qui j’étais car je leur avais écrit mais aussi dès le lendemain de ma résa en ligne, ils m’avaient appelé sur mon portable en France depuis la Lituanie afin de faire connaissance et connaître mes éventuels interdits alimentaires. Classe.
Il est situé au sein de l’hôtel Pacai, à deux pas de la place de la mairie. On avait hésiter à réserver ici ou à Sweet Root, l’autre gastro de la ville où le menu gastro est à 75 euros contre 90 ici. En rentrant dans cette cour d’hôtel un peu pompeuse, j’ai eu peur de m’être trompée, j’ai dit à ma copine : “putain merde on aurait peut-être dû réserver à Sweet Root”. Elle m’a dit “mais non, ça va très bien se passe”. Effectivement, comme raconté précédemment dès l’arrivée, nous nous sommes sentis à l’aise, mais auparavant j’ai eu un peu peur.
La déco intérieure est réussie car il y a de l’espace entre les tables, chacune a sa petite ambiance, il n’y a que 24 couverts au total. La déco est plutôt noire, sombre mais avec style. Désolé je ne me sentais pas flasher sur les gens. J’ai apprécié que lorsque j’ai demandé si on pouvait baisser un peu la musique de jazz, le serveur a immédiatement baissé le volume de l’enceinte qui se trouvait au-dessus de nous : pas de chichis, pas de soucis techniques, hop!, c’est fait.
Le chef Matas Paulinas est jeune, il a entre autres officié chez Ducasse à Monaco, chez René Redzepi au Noma. Dernièrement il était aux commandes du Nüman à Kaunas. Le voici donc chef du restaurant le plus en vue de la capitale, à la tête d’une brigade restreinte (j’ai cru voir maximum 6 personnes en cuisine) et à son image, jeune, funky, passionnée. Matas finit les dressages avant d’envoyer les plats si bien que depuis la salle, on ne voit que lui, ce qui est classe. Par ailleurs tous les 4 plats environ, c’est lui qui vient vous servir. On n’est plus dans le schéma vieillot du chef superstar, bien caché et dont on espère une apparition divine à la fin; et quand enfin il pointe le bout de son nez, c’est un savant codage social souvent nauséabond, il passe du temps auprès de ceux qui comptent, fait rapide pour les badauds, etc… Là, tout le monde est à la même enseigne.
Ce qui fait la réussite d’un repas c’est le service autant que le contenu de l’assiette. Dans les gastros ce n’est pas toujours ça, trop guindé ou trop familier, difficile de trouver le ton juste; ou alors trop arrogant comme je l’ai déjà vécu, arrogance qui se traduisait notamment par des plats énoncés à la va-vite de manière inaudible. Ici rien de ça, c’est jeune, enthousiaste, naturel. Simonas qui s’occupait de nous et qui semble clairement être le number 1 parmi les serveurs a été garçon au pair au Canada, a bossé à Disney aux États-Unis, voilà le maître d’hôtel du meilleur resto de la ville qui n’hésite pas à énoncer les jobs qu’il a eus en dehors du monde de la restauration. On se dit que 1) le management a bien fait son taf en privilégiant le talent et l’envie aux références obligées 2) que ce pays – mais je n’arrête pas de vous le dire depuis 6 ans – a de très belles années devant lui. Je disais au chef Matas que d’ici 20 ans ils allaient tout péter, il m’a repris en disant « 10 ans », je suis accord avec lui, j’employais 20 pour être prudent. On a là des gens bosseurs, discrets, qui ont parcouru le monde, savent pertinemment ce qui se passe ailleurs, ne souffrent d’aucun complexe, sont jeunes! Et débordent d’envie de combiner leur esprit d’entreprise à la mise en valeur de leur terroir et de leur culture. Et on ne peut s’empêcher de penser qu’il y aussi une forme d’hommage intime qu’ils adressent à leurs aïeux qui en ont tant bavé. Il faut entendre Matas dire que son grand-père est son héros et l’homme le plus travailleur qu’il connaisse pour comprendre que, tout chef qu’il est d’un restaurant en vue, il sait trop bien ce que c’est que le dur labeur sans paillettes ni espoir de liberté. J’ai découvert ce resto grace à une amie de ma copine qui y bosse. Il n’a ouvert qu’il y a 3 mois et je peux vous dire que cet article n’est que le 1er d’une réputation qui ne va cesser de grossir.
Notre serveur Simonas nous plante le décor d’emblée : “on va tenter de réinterpréter la cuisine lituanienne, que nous ne connaissons par ailleurs pas”. Du coup, ne soyez pas surpris s’il y a peu de poissons (quasiment pas en fait si ce n’est le caviar et la sauce d’écrevisses), peu de viande aussi (seulement de l’agneau), mais beaucoup de produits des bois (champignons, truffes, baies), des légumes tels que les choux-raves, les pommes de terres, de l’ail. Toujours dans cette logique, le restaurant n’utilise ni citron ni poivre. Autre point important, on met en valeur le terroir des 3 pays Baltes, ça m’a fait plaisir car j’ai eu l’occasion en voyageant dans les trois pays, Lituanie, Lettonie et Estonie, de voir à quel points ils pouvaient mettre en valeur leurs différences et leurs oppositions alors que de l’extérieur, on se dit qu’ils ont tout à gagner à faire équipe : même s’ils ont évidemment des différences marquées, de langue notamment, le terroir est suffisamment ressemblant pour qu’il y ait de quoi en assurer une promotion commune.
On démarre avec un pain qui va cuire dans une feuille de chou comme c’est la tradition en Lituanie et qu’on nous présente avant cuisson.
Puis une tartelette à la mousse de topinambour avec des baies lettones.
Ensuite champignons rôtis, émulsion de truffe, truffes d’automne à l’huile de cèpes, le tout sur un genre de galette hyper fine super croquante afin de rappeler les sandwiches aux champignons sans chichis qu’on peut se faire en Lituanie.
Pour trancher avec le bois, soit on part sur du Riojas, soit un Pouilly Fumé Domaine Châtelain, 2017.
Ca enchaîne Kool Shen avec une sphère d’ail noir (ail qui a été caramélisée chaque jour pendant deux mois à 69 degrés) avec à l’intérieur du caramel de betterave, un délice.
Puis vient le caviar avec la crème de potiron du potager du chef. Il ne faut pas chercher le goût du caviar en premier, mais bien au contraire savourer le potiron crémeux et se laisser surprendre par les billes de caviar qui apportent acidité et fraîcheur.
On nous sert un cidre letton de @mrplume_sidrs.
Céleri rave mariné et herbes parfumées : fantastique.
A ce moment-là, un pote qui suit mon insta story (je postais tous les plats au fur et à mesure) me dit que c’est une présentation qu’il a vue au Noma. “Ah bon tu y as été?” demandais-je?. “Non, pas les sous, mais je l’ai vue sur insta :)”. Du coup, quand le chef revient, je lui demande s’il a bossé au Noma, il me dit que oui. Là-dessus il nous raconte une anecdote bien sympa. Le second de René Redzepi, Matt Orlando, est un californien rock and roll qui a d’ailleurs ouvert le resto Amass à Copenhague aussi, un gastronomique dans lequel il passe du gros hip hop. Matas Paulinas et lui avaient animé un pop up restaurant dans un food truck sur un genre de parking. Ils avaient fini toutes leurs mises en place alors que la foule attendait devant la caravane fermée. Juste avant d”ouvrir, Matt a allumé un énorme beuze qu’ils se sont fumés comme des cochons à l’intérieur de la caravane, si bien que lorsqu’ils ont ouvert le volet, la foule a reçu un énorme nuage de skunk en pleine gueule. C’est pas tous les jours que le chef d’un gastro te conte une telle histoire.
Ensuite c’est un de mes meilleurs moments car la sauce aux écrevisses est incroyable : céleri, purée de truffe, beurre blanc aux écrevisses et au céleri fermenté.
C’est servi avec le Rioja de tout à l’heure qui répond parfaitement à l’écrevisse, d’un côté l’assise du Rioja avec une pointe d’acidité en fin de bouche et de l’autre la mer.
Vient la pause gourmande qui ravit le breton que je suis : le pain noir du début à été cuit, il est servi avec du beurre clarifié et du sel anglais. C’est un régal mais je trouve le sel trop « salé », oui oui, j’aimerais quelque chose de plus fin. C’est servi avec une bière estonienne Ollenhaut Jaanihanso.
Après le top, le moins convaincant : le plat qui ne m’a pas emballé, il est censé rappeler l’origine italienne de l’architecture de Vilnius au 16ème siècle quand elle est devenue une des grandes villes de la Renaissance; je n’ai pas bien compris car . Des pâtes de pommes de terre, mousse de fromage lituanien, foin rôti, huile de cassis : ça tranche trop entre l’acidité de la pomme de terre et le crémeux du fromage.
Un vin géorgien de chez Pheasant’s Tears avec un léger goût d’agrumes.
Champignons “huîtres” – c’est leur nom – grillés, hallucinant, on dirait des calamars, recouverts de confiture aux myrtilles vertes (pas mûres) et réduction de concombre, menthe. Tout ceci est absolument délicieux.
Agneau cuit à basse température dans du foin fumé avec une sauce aux mûres là aussi vertes, la seule viande du dîner mais elle est parfaite et vient à point nommé.
Yaourt grec glacé sur une ganache de chocolat blanc
Un vin doux d’Afrique du Sud, ce qui n’est pas le type de vins auquel on pense lorsqu’on évoque l’Afrique du Sud mais il se mariait très bien avec les desserts.
Mousse de pins, feuilles de chêne brûlé, gelée de jus de pommes, mon dieu…
Glace à la prune, réduction de jus de prunes, disque croustillant de prune
Liqueur estonienne de chez Tiina Tauraite pour madame. Cette actrice indépendante estonienne s’est orientée vers la culture de plantes il y a quelques années. Ce Sostar & Pipar est fait à partir “de baies estoniennes et de vin de seigle doux en ajoutant un peu de piment.”, piment qu’elle cultive elle-même. “Toutes mes liqueurs sont faites à la main, en petite quantité et cuisent à la bouteille.”
Pour le digeo, on m’a proposé un Rhum de Guyane Britannique ou une grappa, va pour le rhum, je crois n’avoir jamais goûté jusqu’ici un rhum en provenance de là-bas!
Le café servi vient du Salvador où les propriétaires de l’hôtel Pacai ont des plantations. Le filtre en papier non écologique est remplacé par un filtre en lin local.
Je rêvais d’un cigare après un tel festin, Simonas m’a conseillé The Old Green House en me disant que ce serait le seul spot ouvert pour cela à minuit passés. J’ai appelé : la jeune femme nous a dit qu’on pouvait encore venir. Sur le chemin j’étais content alors j’ai tourné autour d’un poteau et sans m’en rendre compte mon Iphone a volé dans la neige. En voulant prendre une photo du 100 dans la cour du Parlement (pour centenaire de l’indépendance), j’ai réalisé que j’avais perdu mon tél.
Panique, retour sur nos pas à chercher dans la nuit et finalement mon intuition a été bonne en allant du côté du poteau, mon Iphone était là dans la neige. Je découvre alors que la jeune femme de Green House m’a rappelé car nous tardions et elle devait fermer. Classe! Elle nous a ouvert quand nous sommes arrivés, très sympa. J’ai chopé un Dominicain pour 13,90 euros que j’ai fumé en rentrant à l’hôtel, heureux, marchant dans la neige en fumant. Vilnius quoi.
Puisqu’on m’a demandé en MP et que j’aime donner les détails, le dîner nous a coûté 268 euros pour les deux menus dégustation à 90 et un wine pairing à 70 euros pour deux. Les 18 euros de différence doivent venir des cafés et du rhum sans doute.
Nous n’arrêtons pas d’y repenser depuis et c’est la marque des grands dîners comme des grands moments. Le cerveau y revient, la mémoire travaille, l’analyse porte alors sur des détails entre’aperçus dans le feu de l’action mais bel et bien enregistrés et c’est là qu’on voit si des trucs nous ont paru louches, si au contraire plus on y pense et plus c’était classe ou alors on nuance.
Les points forts
- le service
- les tables qui ont chacune leur univers
- le fait qu’on nous ait baissé la musique dès qu’on la demandé
- l’absence de plats superficiels destinés à épater la galerie
- des goûts simples mais profonds, rarement plus de 3 à la fois si bien qu’on se souvient clairement des saveurs
- un repas très bien construit et tout simplement délicieux
Les points faibles
- manque de diversité de viande ou de poisson (mais durant le repas cela ne m’a pas manqué, c’est plus un constat après-coup, et encore, plus rationnel qu’autre chose)
- la programmation musicale : musique jazz, bonne au début, moins à la fin, trop vocale pourrait être encore mieux travaillée. C’est un élément clé, dans un gastro, le même soin doit être apporté à la musique qu’à la déco or c’est souvent le maillon faible. J’avais donné en 2011 une interview pour Gmag, aujourd’hui disparu, à Franck Pinay-Rabaroust – depuis en charge d’Atabula -, sur cette association entre musique et gastronomique dans les restaurants.
Le résumé
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